[Projet scientifique Axe C | Espaces, villes et sociétés | Communications, mobilités et relations sociales]
Histoire sociale des pratiques culturelles antiques et transferts culturels dans le monde grec
Porteuse scientifique avec rattachement
Madalina Dana, Université Jean Moulin Lyon 3.
Principaux collaborateurs scientifiques du laboratoire
Julien Aliquot
Richard Bouchon
Dan Dana
Claire Fauchon
Pierre-Louis Gatier
Eleonora Santin
Partenaires institutionnels extérieurs
Westfälische Universität (Münster), Università Ca’ Foscari (Venise)
Résumé du projet
Le projet s’articule en deux volets, le premier consacré aux centres de culture régionaux et à la mobilité des hommes de culture en Méditerranée, le second au développement et à la difussion de la literacy, en étroite relation avec la correspondance et les transferts culturels.
1. Tout d’abord, les recherches porteront sur les lieux, les acteurs et les pratiques de la vaste réalité qu’est la paideia grecque. Des outils théoriques rarement déployés jusque-là pour cette question seront mobilisés, notamment la connectivité et les études régionales. D’un point de vue méthodologique, nous allons reconsidérer la documentation et procéder à une nouvelle cartographie des territoires, car seulement les documents les plus connus ont été exploités, pour les centres les plus renommés de la Méditerranée.
– L’étude consacrée aux centres culturels régionaux en Asie Mineure aux époques hellénistique et impériale prendra la forme d’un essai de géographie et d’histoire culturelle. La pertinence d’une telle approche a été testée par plusieurs études de cas auxquelles s’ajouteront des enquêtes en cours dont les résultats seront communiqués dans les cinq années à venir. Ce projet est motivé par le fait que jusqu’ici l’analyse des centres culturels a naturellement privilégié les grandes villes comme Athènes et Alexandrie, en raison tout d’abord de la richesse de la documentation et de l’attraction qu’elles exerçaient sur les jeunes Grecs. Mais point n’était besoin de toujours se diriger vers ces grands centres – un cadre plus approprié, car plus familier, leur était offert par les cités de moindre envergure, dans la région ou dans des régions voisines. Si leur statut de « centre culturel » n’est pas conforme à l’image traditionnelle que nous avons des centres, construite précisément sur les exemples athénien ou alexandrin, il n’en mérite pas moins d’être analysé de plus près, avec à la clé une remise en question du modèle centre-périphérie. La polarisation se faisait autour des écoles, des institutions ou bien des personnalités remarquables, les fameux andres axiologoi kata paideian mentionnés par Strabon 12.3.11. La géographie intellectuelle de Strabon sera par ailleurs l’un des critères essentiels d’organisation de cette recherche et la raison pour laquelle l’Asie Mineure est un terrain privilégié pour apréhender ce phénomène de régionalisme culturel.
– Ces petits centres à l’échelle régionale, plus proches, donc plus accessibles, jouent un rôle essentiel, en tant que noeds de connexion, dans la mobilité culturelle. Cette dernière approche permet d’aborder le rôle de l’itinérance dans la vie des intellectuels antiques, qui se concrétisera dans une recherche plus vaste sur la façon dont le fait de voyager peut représenter un mode de vie. Une histoire sociale et culturelle des conférenciers itinérants reste à écrire. Il s’agit de suivre les détenteurs et transmetteurs de savoirs acquis lors d’une formation de longue durée auprès d’un ou de plusieurs maîtres, validée par la fréquentation du maître et reconnue par des pairs. Ces savoirs sont par la suite diffusés dans les cités ou des centres panhelléniques, où les conférenciers trouvent un auditoire familier de ce type de connaissances et disposé à s’en imprégner, en lui reconnaissant une valeur sociale et culturelle. Il s’agit de savoirs multiformes ‒ philosophiques, historiques, scientifiques, littéraires ‒ dont les points communs sont leur universalité, leur validité et la mobilité de leurs porteurs. Il faut également s’interroger sur les limites de l’itinérance. Est-elle véritablement un « mode de vie » ? Mieux encore, dure-t-elle toute une vie ? En réalité, on a affaire à des phénomènes ponctuels, à des démarches personnelles, à des initiatives privées ou publiques, et à des opportunités. Nous pouvons ainsi parler non pas d’une mobilité continue et perpétuelle, mais d’un cumul, d’un enchaînement de « micro-mobilités », de courte ou de longue durée.
C’est cette perspective que nous avons appliquée dans un projet en collaboration avec Matthias Haake de l’Université de Münster, qui se concrétisera par un volume collectif intitulé Experts of Knowledge on the Move. Networks, Connectivity, Mobility and Nodes in the Ancient Mediterranean World from the Early Archaic Period to Late Antiquity. Cet ouvrage sera publié chez Frenz Steiner (Stuttgart), en 2022, et comportera 38 chapitres. Nous nous intéressons à la fois aux acteurs et à leurs réseaux, aux cadres d’accueil pour les professionnels du savoir, notamment les étrangers, et aux lieux de la connectivité, en tant que nœuds de la géographie culturelle antique.
– L’histoire intellectuelle ne saurait être menée sans un véritable intérêt pour l’histoire sociale, car non seulement les intellectuels sont membres des sociétés où ils jouent un rôle et qui conditionnent leur parcours, mais aussi leur activité est, loin des cloisenements modernes, un mode de vie. Cette dernière considération a constitué le point de départ du projet Hairesis. Les écoles philosophiques antiques et leurs représentants dans les incriptions grecques et latines (VIe s. av. J.-C. - IVe s. ap. J.-C.), qui a obtenu un financement du programme IMPULSION 2020 de l’IDEXLYON. Le projet, qui bénéficie de la collaboration de nombreux spécialistes français et étrangers, étudie l’implantation des écoles philosophiques dans le monde antique à travers les témoignages épigraphiques, dans le but de combler un manque bibliographique et de compléter l’entreprise monumentale dirigée par R. Goulet, Dictionnaire des philosophes antiques, I-VIII, Paris, 1989-2018. La collecte des sources a été réalisée sous la forme d’une base de données interrogeable en ligne à partir du janvier 2021. Le volume sera constitué d’un corpus épigraphique, avec texte, traduction et commentaire, d’une synthèse historique qui touchera à l’histoire sociale, politique et intellectuelle de la philosophie antique, et des cartes montrant l’implantation des écoles et leur diffusion dans le temps. La remise du volume aux éditions de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée est envisagée en 2022.
2. Le second volet envisage la diffusion des pratiques de l’écriture, notamment épigraphiques, aux époques classique et hellénistique. Ce projet se place dans la continuité d’un intérêt de longue date pour la correspondance antique privée, qui sera prolongé par une interrogation plus vaste sur le rôle de l’écrit dans l’organisation du commerce antique et dans les pratiques administratives. Les mentions littéraires des documents échangés entre marchands, sur papyrus, tablettes de bois ou plomb (dont l’usage a été largement prouvé par les traces matérielles que nous détenons de cette pratique) seront également prises en considération afin de percevoir les réseaux qui embrassaient la Méditerranée. On s’interrogera ainsi sur la manière dont la literacy, qui ne se réduit pas aux milieux lettrés ou socialement aisés, a accompagné l’essaimage des Grecs en Méditerranée, surtout quand on pense aux nombreuses productions dialectales relativement précoces qui caractérisent les espaces « périphériques ». Une collaboration avec Dan Dana vise à établir un corpus des inscriptions grecques dialectales d’Apollonia du Pont, dont la production épigraphique à une époque reculée (dès le VIe s. av. J.-C.) approche celle d’Olbia du Pont, déjà traitée par L. Dubois. Une réflexion générale permettra de réinterroger les pratiques des groupes sociaux qui n’ont pas été suffisamment pris en compte dans les travaux portant sur les transferts culturels.
Types d'opérations :
- Journée-atelier du projet Hairesis (5 février 2021)
- Édition du corpus épigraphique intitulé Les écoles philosophiques antiques et leurs représentants dans les inscriptions grecques et latines (VIe s. av. J.-C. - IVe s. ap. J.-C.)
- Édition du corpus des inscriptions grecques dialectales d’Apollonia du Pont (avec D. Dana)