[Projet scientifique Axe A | Savoirs, normes et doctrines | Normes et langages]
Tolérance, coexistence et concorde entre communautés
Discours et pratiques du « lien » social en Méditerranée (Rome au IVe s., Ravenne au VIe s. et Zadar aux IXe-XIe s.)
Porteur scientifique
Stéphane Gioanni, PR Lyon 2
Principaux collaborateurs scientifiques du laboratoire
● Les spécialistes des doctrines de l'Antiquité tardive, notamment aux Sources Chrétiennes (axe A)
● Les spécialistes des crises et des mutations des sociétés de l'Antiquité tardive (axe C)
Partenaires institutionnels extérieurs
● École française de Rome
● Artehis (Sébastien Bully et Pascale Chevalier pour l’étude archéologique)
● Chronoenvironement (Morana Causevic-Bully pour l’étude archéologique)
● Université de Zagreb (Miljenko Jurkovic)
● Université de Zadar (Nikola Jaksic)
● Université de Padoue (Cristina La Rocca)
● Université Ca'Foscari de Venise (Stefano Riccioni)
Résumé du projet
Ce projet de recherche s'inscrit dans le prolongement d'un programme consacré à « l’exclusion dans les sociétés de la Méditerranée de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge (IVe-XIe siècle) : discours, formes et fonctions », dirigé par S. Gioanni.
Ce programme inscrit au quinquennal de l’École française de Rome (2012-2016) a donné lieu à deux publications récentes :
- G. Buehrer-Thierry, S. Gioanni (dir.), Exclure de la communauté chrétienne. Sens et pratiques sociales de l'anathème et de l'excommunication (IVe-XIIe s.), Turnhout, Brepols, 2015 (HAMA, 23).
- S. Joye, M. La Rocca, S. Gioanni (dir.), La construction sociale du sujet exclu (IVe-XIe siècle). Discours, lieux et individus (IVe-XIIe s.), Turnhout, Brepols, 2019 (HAMA, 33)
Après avoir étudié les formes de l’exclusion, il s’agira d'aborder les phénomènes d'inclusion et de coexistence des communautés dans les sociétés de la Méditerranée de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge.
Le corpus
Les membres du programme tenteront de recenser, traduire et commenter les textes évoquant des situations de solidarité, de rivalité ou de concorde entre des communautés. Trois dossiers seront privilégiés, correspondant à trois exemples ayant abouti à des types de sociétés très différents :- la coexistence entre païens et chrétiens à Rome à la fin du IVe siècle et au début du Ve siècle (de « l'affaire de l'autel de la Victoire » à la prise de Rome par Alaric) : la confrontation des théories antagonistes de la « tolérance » chez le païen Symmaque et l’évêque Ambroise à l’occasion de l’Affaire de l’autel de la Victoire en 383 constituera le point de départ de la réflexion
- la coexistence entre Goths et Romains dans l'Italie ostrogothique et le royaume romano-barbare de Théodoric (début VIe siècle) : les correspondances d'Ennode de Pavie et les Variae de Cassiodore, questeur du palais du royaume ostrogothique, permettront de reconstituer les contacts entre les communautés et l'élaboration de la « concorde » théodoricienne (après la publication des deux premiers volumes des Lettres d'Ennode dans la CUF en 2006 et 2010, les deux derniers volumes seront publiés dans le cadre de ce programme)
- la coexistence entre les élites latines, slaves et byzantines dans le « thème » de Dalmatie puis dans le Royaume de Dalmatie-Croatie (VIIIe-XIe siècle) : l'analyse portera sur des textes et des documents de genres très divers issus des productions slaves et latino-byzantines (chroniques, vies de saints, textes liturgiques et documents de la pratique, essentiellement des actes de donations)
Les objectifs
Dans un second temps, l’approche comparative aura pour but de mettre en lumière les normes et les pratiques culturelles et sociales ayant contribué à la construction de sociétés pérennes comprenant à l'origine des communautés ethniques, linguistiques et religieuses différentes voire hostiles.
Une attention particulière sera portée :
- à l'expression doctrinale et juridique de la tolérance, religieuse et ethnique, dans des situations de fortes tensions ou compétitions susceptibles de dégénérer à tout moment en conflits ou persécutions violentes
- aux formes de l'encadrement social qui organisent la société, au-delà des formes de sociabilité des différentes communautés (les solidarités horizontales, verticales... qui font rempart contre la pauvreté, la maladie, l'angoisse... et qui confèrent une valeur positive au lien social)
- à l’analyse des réseaux, des médiations et des relais qui structurent les sociétés étudiées et offrent des moyens de contact, de connexion et d’intégration
- aux lieux du contact, de la connexion ou de la ségrégation sociale (proximité ou séparation des communautés dans l’espace urbain et dans l’organisation civique, scolaire, religieuse et funéraire)
- à la coexistence de cultures, de langues ou de liturgies différentes dans une même société ; et à l’élaboration progressive d’une culture, d’un langage ou d’une liturgie commune
- aux formes de contestation, de réaction ou de résistance à l’intégration ou au mélange des communautés différentes dans une même société (contestation à l’intérieur et à l’extérieur de ces communautés)
- aux représentations du « lien » et de la « concorde », et à leurs usages politiques et sociaux dans la mémoire des communautés locales et nationales médiévales et modernes
Ce programme vise à comprendre les tentatives de « faire lien », de construire de nouveaux équilibres sociaux et des formes de contrôle public sur des « communautés » encore fragilisées par des rapports conflictuels ou par des subdivisions internes. Nous essaierons ainsi d'individualiser les formes possibles de l'appartenance sociale et les moyens de parcellisation par lesquels bâtir la coexistence sociale. Nous avons bien conscience que le terme « communauté » peut paraître impropre pour étudier les phénomènes de coexistence entre païens et chrétiens (à Rome à la fin du IVe siècle), latins et goths (à Ravenne au début du VIe siècle) et slaves et byzantins (à Zadar au XIe siècle). Il semble toutefois que ces trois situations différentes permettent d'analyser des formes de coexistence et, dans certains cas, de concorde sociales qui peuvent fournir le cadre d'une réflexion, d'une part, sur le « lien » social et, d'autre part, sur des phénomènes de hiérarchisation inhérente à toute forme d'action ou de projet social commun.
Durant les trois premières années du programme, un séminaire de recherche mensuel pluridisciplinaire sera conclu, en fin d’année, par une table ronde consacrée respectivement à l’un des trois exemples considérés :
• Année I : païens et chrétiens (à Rome et à Milan dans la société impériale à la fin du IVe siècle)
• Année II : latins et goths (à Ravenne et dans l’Italie ostrogothique du début du VIe siècle)
• Année III : latins, slaves et byzantins (dans le « Thème » byzantin puis le Royaume de Dalmatie-Croatie aux IXe-XIe siècles)
• Année IV : colloque de synthèse sur « Construction, limites et représentations du ‘lien’ social dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge » ; préparation des actes pour publication
NB : l’obtention du projet ANR-PRC MONACORALE (2021-2024) "Histoire et archéologie des monastères et des sites ecclésiaux d’Istrie et de Dalmatie (IVe-XIIe siècle)" modifie le calendrier initialement prévu. Pour la période 2021-2024, sans perdre de vue l'approche comparative et pluridisciplinaire, l’essentiel de l'activité de recherche portera sur la troisième partie : discours et pratiques sociales de la coexistence des populations latines, slaves et byzantines en Dalmatie-Croatie de l’Antiquité tardive à la réforme « grégorienne ».